La formation de l’analyste : une opération impossible

La formation de l’analyste :

une opération impossible

par Jean Marie Tassel

 

 

 

 

 

 « nul n’a auprès de moi appris rien, de s’en faire valoir.[1] »
« Je ne sais pas ce que je suis, je ne suis pas ce que je sais :
Une chose, et pourtant aucune chose, un petit point et un cercle.[2] » 

À partir des trois fonctions impossibles de Freud, tels trois « être impossible » – en l’occurrence, « être analyste » – Lacan construit ses quadripodes tournants comme quatre discours radicaux. Ces trois actes –  gouverner, éduquer, analyser –  sous-tendent l’impossible d’une opération, position unmöglich nous dira Freud : « Il semble presque qu’analyser soit le troisième de ces métiers « impossibles » », pour lesquels on peut être sûr d’emblée que le succès sera insuffisant. Les deux autres, connus depuis bien plus longtemps, sont l’Éducation et la pratique du gouvernement.[3] » « Très tôt j’avais épousé le mot humoristique sur les trois métiers impossibles qui consistent à éduquer, guérir et gouverner et celui du milieu m’a suffisamment occupé.[4]»

Et Lacan de rajouter que « le psychanalyste étant fort embarrassé […] de sa position, [est] d’autant plus disposé à recevoir les conseils de l’expérience.[5] » Au travers de l’expérience de l’analyse et de l’opération analytique, l’impossible dont il s’agit est un impossible logique qui signe un réel. Le réel de la division du sujet, $. En cela, la production de l’analyse, à l’occasion un analyste, autrement un produit du discours, se confronte à cet impossible. Aussi, l’analyste, à cette place de semblant d’objet, laisse ouvert cet espace. La construction logique[6] de l’objet a permet sa mise en fonction supposée dans le transfert. L’analyste n’est pas l’objet, il s’en fait le représentant.[7] Absent, il désigne un creux et cause du désir.[8] L’analysant y vient loger son objet dont il se détachera en fin d’opération. Face à cet impossible, présentifiant le désir, le sujet rend compte du peu de créance accordé à cet objet a. Désormais « abje(c)t », le savoir pâlit, dérisoire et la vérité menteuse se dévoile.

 

L’horreur de l’acte

 

La formation dite impossible, la formation symptôme de son acte, s’articule donc de ces expériences en acte que sont la cure, la passe et l’enseignement. Ces trois moments interrogent l’impossible de cette formation, l’impasse d’une transmission, l’impasse du savoir. Il s’agit de passer du savoir, amour de la vérité, au savoir singulier à chacun, comme désir de savoir. Or, « le désir de savoir n’a aucun rapport avec le savoir[9] » nous enseigne Lacan dans « L’envers de la psychanalyse ». C’est pourquoi, les trois métiers freudiens supposeraient d’en redessiner les contours. Aussi, préférons à cette fonction, une position, et ce qui la sous-tend : l’acte, en lui-même impossible. Lacan ne rappelle-t-il pas l’acte et son horreur ?

L’analyste est averti, de la production de l’expérience analytique qu’il « s’est fait », au sens de « se faire » que, par son dire qui fait acte, il sait qu’il deviendra l’objet rejeté, le déchet. Il « s’est fait produit ». Dans un premier temps, le sujet « s’est fait produire » puis « s’est fait produit » de son discours. Lacan reprend l’horreur de l’acte à plusieurs reprises et notamment, dans sa « Proposition de 67 » et en 1980 dans un entretien au journal Le Monde. Dans un premier temps, l’acte fait horreur en cela qu’il rappelle la destitution subjective, la chute du sujet supposé savoir « inscrite sur le ticket d’entrée » donné à l’analysant pour son trajet analytique. « Oui, le psychanalyste a horreur de son acte, écrit-il, c’est au point qu’il le nie, et dénie, et renie – et qu’il maudit celui qui le lui rappelle, Lacan Jacques, pour ne pas le nommer.[10]» Et de rajouter à l’adresse des analystes comme une invite d’y passer : « L’acte, je leur donne chance d’y faire face. »

Cet acte du dire provoquerait chez le candidat à la fonction analytique « l’horreur, l’indignation, la panique, voire l’attentat, en tout cas donner le prétexte à l’objection de principe »[11]. Et pourtant, il se passe bien quelque chose. Parfois, il ne se passe rien. N’est-ce pas de ce rien, et de ne pas l’avoir oublié, que l’analyste peut, de son acte, en transmettre quelque chose ? Au-delà d’un transfert singulier, d’une déchéance du fantasme et de la destitution comme sujet. L’impossible n’étant pas l’impuissance, chacun, de sa place, y est tenu. Au même titre qu’il affirme, en introduisant ses discours, que « la propriété de chacun de ces petits schémas à quatre pattes, c’est de laisser sa béance.[12] » Cette béance maintenue, et par cette place de l’analyste et dans les discours, repose la question du « se faire ». Se faire produire, se faire savoir, se faire objet (sein, regard, voix, fèces, rien) et se faire désirer. Entre « faire l’objet » et « se faire », nous entendons déjà là, et la question de la production, et la dimension du semblant. Se faire n’est pas être. Pour autant, ce qui articulerait ces trois positions serait l’articulation, donnée dans le discours de l’hystérique, d’un « se faire désirer ». « C’est à l’étape où s’est trouvé défini comme l’impossible à démontrer vrai le registre d’une articulation symbolique, que le réel se place, si le réel se définit de l’impossible. Voilà qui peut nous servir à mesurer notre amour pour la vérité – et aussi qui peut nous faire toucher du doigt pourquoi gouverner, éduquer, analyser aussi, et, pourquoi pas, faire désirer, pour compléter par une définition ce qu’il en serait du discours de l’hystérique, sont des opérations qui sont, à proprement parler, impossibles.[13]»

Nous avons donc travaillé la question de l’impossible au travers des discours et son articulation à la place du savoir dans chacun d’eux afin de repérer ce qui, du réel, peut être transmis dans chaque formation d’analyste.

 

Humpty Dumpty : maître du signifiant [14]

 

Dans le discours du Maître, le sujet est en place de vérité. Le signifiant-maître « préserve » le sujet de sa production. Or, est-ce là une production sans sujet[15] ? Ou plutôt pouvons-nous y déceler la formule du fantasme, S(barré) <> a ? « C’est l’esclave, par son travail, qui donne la vérité du maître en le repoussant dans le dessous. » En effet, l’impossible est sur la ligne supérieure là où l’impuissance est en bas. Le savoir est donc soutenu par le fantasme. Il n’y a donc pas de savoir tout. Cependant, quelle est sa fonction ? Est-ce le savoir qui articule et permet le quart de tour ? Dans le discours du maître, l’agent fonde sa production à partir du savoir de l’esclave qui est un savoir-faire (technique). Le maître lui suppose un savoir y faire. Il n’en reste pas moins que c’est un savoir soustrait, produit de l’opération. « il est en effet impossible qu’il y ait un maître qui fasse marcher son monde. Faire travailler les gens est encore plus fatigant que de travailler soi-même, si l’on devait le faire vraiment. Le maître ne le fait jamais. Il fait un signe, le signifiant-maître, tout le monde cavale.[16] » nous dit Lacan,

En effet, le maître n’a pas envie de savoir, tel ce « je n’en veux rien savoir » propre à l’injonction lacanienne d’un « jouis !» : « un vrai maître ne désire rien savoir du tout – il désire que ça marche.[17] » Tout y est conservé, à l’image du pouvoir du maître et ce, sous le règne du signifiant qui tient à cette conservation « du signifiant répété à deux niveaux, S1, S1 encore. [18] » Pourtant, il y a bien une perte, quelque chose qui disparaît dans l’inter­valle, « ou plus exactement, ne se prête pas au retour, à la remise en état du point de départ » c’est-à-dire quelque chose qui relève d’un savoir. Lacan y répond à partir de sa question « si vous manipulez les formules d’une certaine façon, [il] se trouve toujours faire le même total –, n’est-ce pas ici le glisse­ment, le quart de tour ? – qui fait qu’à la place du maître, s’instaure une articulation du savoir éminemment nouvelle[19]».

L’interprétation, comme acte analytique, viendrait ici opérer et produire cette perte. C’est de cette inter-perte[20] que se produit un tout autre savoir au travers des lichettes de jouissance perdues. Aussi, Freud nous rappelle dans « Les métamorphoses de la puberté », combien cette perte est antérieure à ce qui est perdu repris en 1960 par Lacan « comme devant être cet objet wiedergefunden, retrouvé.[21] » Il s’agit de « retrouvaille, […], instaurant la dimension de la perte [22] » nous enseigne Lacan et de rajouter qu’enfin « ce qui est trouvé est cherché, mais cherché dans les voies du signifiant.[23]» Ce savoir vient donc chiffrer la jouissance en ce sens que le signifiant travaille pour la jouissance. Il en est la cause. Ce savoir qui ne se sait pas, insu, produit du jouir qui se perd. En cela, « Seul l’amour permet à la jouissance de condescendre au désir.[24]» Et pourtant, ça rate !

Et pourtant, l’amorce de cette formation ne nécessite-t-elle pas d’en passer par l’analyse ? Or, dans le processus, l’analyste, en place de condensateur de jouissance, est un passeur pas sans le savoir, (passant le savoir ?). L’analyste est en place de passant, du discours de l’hystérique à celui du maître. Nous pourrions dire que c’est par l’analyste que « ça » passe. En cela, il se fait semblant d’objet pulsionnel, pas sans le savoir qu’il l’a été, pas sans le savoir qu’il l’est. Mais, ce savoir acquis, qui l’a ? L’analyste serait-il celui pas sans savoir qu’il a/ qui l’a/qu’il l’a? Pour autant, l’analyste n’incarne pas l’objet (a = phallus). À le considérer du côté du corps, il ne l’incarne pas. Tout du moins, il est le vide qui le constitue qui permet le passage par chacun des trous constitutifs de la pulsion. L’analyste, sinthome, donc, de n’être que le fil qui relie chaque trou, tel un collier de perles passant de l’un à l’autre. À ceci près qu’un trou n’est pas un cercle, et n’a pas consistance ni d’un anneau ni d’une perle. Pour filer la métaphore, ce collier serait à supposer un collier de trous, un tour de rien. Aussi, n’en resterait-il que la corde telle la quatrième nomination du sinthome qui ferait boucle, nouage.

Reprenons donc cette place d’analyste à partir de l’avoir et non de l’être. Du savoir à l’être, au désêtre. Cette place de semblant ne serait-elle pas cette place de phallus? À propos du phallus, Lacan reprend Freud en formalisant « qu’il n’y a que le phallus à être heureux –pas le porteur dudit. » C’est pourquoi, l’analyste ne serait pas cet objet, mais le vecteur de cet objet a, place phallique, alternateur de cet objet, à la fois agalma et palea. Passage donc, d’une place de brillance phallique (agalma) à une place de désupposé (palea) quant au savoir. Ce sçavoir, il ne l’est plus, il ne l’a plus. L’analyse conduit à un, ça voir ç(a) !

Par conséquent, face à cet amour, qu’il soit de vérité, sur lequel Freud nous rappelle que la relation analytique s’y fonde, le sujet n’en aura que des effets. Au niveau du discours du maître, « l’amour de la vérité, […] nous fait […] glisser entre les doigts l’impossibilité de ce qui se maintient comme réel » nous enseigne Lacan, […] c’est cela qui nécessite la référence à ce que le discours analytique nous permet heureusement d’entrevoir, et d’articuler exacte­ment.[25] »

Et de rajouter que « La psychanalyse, ça ne se transmet pas comme n’importe quel autre savoir. Le psychanalyste a une position qui se trouve pouvoir être éventuelle­ment celle d’un discours. Il n’y transmet pas un savoir, non pas qu’il n’ait rien à savoir, contrairement à ce qu’on avance imprudemment.[26] »

 

Un « autisme à deux », pas-sant le savoir

 

Dans le quadripode du discours de l’analyste, le savoir, S2, est en place de vérité, S1, le reste de cette opération. Ce qui fait dire à Lacan qu’« il est assez curieux que ce qu’il [discours de l’analyste] pro­duit ne soit rien d’autre que le discours du maître.[27] » Entendons, discours de l’inconscient, puisqu’il n’y a d’analyste que d’analyse et d’analyse que d’analyste. L’analyste est à cette place de « séduction de vérité qu’il présente en ceci qu’il en saurait un bout sur ce qu’en principe il représente.[28] » « Se faire semblant» met en relief l’impossibilité de sa position en tant que l’analyste se met en position d’être l’agent, la cause du désir. Ici, le savoir est supposé à l’analyste. Or, « le sujet supposé savoir n’est pas tout le monde, ni personne. Il n’est pas tout sujet, mais pas non plus un sujet nommable. » Il « est quelque sujet ». Lacan nous en rappelle les coordonnées : « C’est le visiteur du soir, ou mieux, il est de la nature du signe tracé d’une main d’ange sur la porte. Plus assuré d’exister de n’être pas ontologique, et à venir d’on ne sait zou.[29] » La marque de St Jean tracé par le suspend de son acte. En deçà du dire, le tact de l’analyste désigne…comme il décharite.

L’analyste, en place d’agent, s’origine du produit d’un travail du discours du maître, mû par l’amour de la vérité. Il en est le produit en tant qu’il « n’est pas du tout forcément celui qui agit mais celui qui est fait agir.[30] » Aussi, de la même façon, l’hystérique produit un savoir qui peut, de par cette production, articuler un discours universitaire en place d’agent. Qui lui-même produit un sujet hystérique. Le discours universitaire produit des sujets hystériques qui produisent eux-mêmes des produits universitaires. L’agent cherche alors une vérité, mais ne trouve que jouissance, et du reste, un produit, l’objet a, sous forme de lathouse.[31] Or, entre ce que l’agent cherche et ce qu’il trouve, existe-t-il un rapport ? Entre vérité et lathouse ? Entre le tout (de la vérité) et le rien (qu’est l’objet a) ? Lacan nous précise que « la production n’a, en tous les cas, aucun rapport avec la vérité.[32] » Aucun signifiant maître ne viendra en cette place de vérité et y désigner l’agent. Ce qui fait obstacle à la vérité n’est autre que la jouissance, « la jouissance est interdite à qui parle comme tel.[33] » Autrement dit, aucun signifiant ne viendra faire nomination pour le sujet, sinon une nomination de jouissance.

Notons que l’agent est celui qui détermine de sa place la structure du discours. La vérité fait agir l’agent. En ceci, la relation de l’agent au travail est une relation impossible attendu que l’agent n’est pas sans l’autre. Et inversement. À structurer le discours, l’autre, le travail, est celui dont il est impossible de se passer. Le « pas-sans », pointe donc cette relation impossible, là où le réel fait loi. De surcroît, cette relation signe l’impossible d’une rencontre au titre d’un pas-tout savoir pas-sans l’autre. Peut-être est-ce là, la marque de cet « autisme à deux », autre nom du lien analyste-analysant « pas-sant » le savoir ? Ce qui diffère d’avec la psychothérapie qui impose un savoir non supposé, dé-supposé à l’autre. C’est donc cette relation singulière de l’un pas sans l’autre qui produit un savoir autre. Supposé de l’un, insu de l’autre. Pourtant, c’est là, à cette place impossible, du pas de vérité, qu’est son être, d’avoir aperçu l’obstacle au serrage du réel. « Ce ne serait pas mal si l’analyse vous permettait d’apercevoir à quoi tient l’impossibilité, c’est-à-dire ce qui fait obstacle au cernage, au serrage de ce qui seul, pourrait peut-être au dernier terme introduire une mutation, à savoir, le réel nu, pas de vérité. Seulement voilà, entre nous et le réel, il y a la vérité.[34]

Nous y repérons là l’inexistence du rapport sexuel de cet impossible affaire (à faire) avec le réel : le réel pas-sans le savoir. Aussi, au terme de la cure, ne pourrait-on pas dire avec Lacan et Silésius que si la vérité est mi-dite, qu’elle jaillit de « la béance », l’issu de la cure est un laisser fleurir la rose sans pourquoi, qui fleurit aux pauvres lieux ?

« La rose est sans pourquoi, elle fleurit parce qu’elle fleurit, N’a souci d’elle-même, ne désire être vue.[35]», écrit le poète. Elle fleurit hors sens, hors identifications, hors causes permettant de rendre compte des conditions de son avènement. De son apparition, la rose n’y est là pour rien. Elle ignore le langage.

 

« Se faire désirer » : le métier à tisser de l’Hystérique

 

« Le psychanalyste n’a eu d’abord qu’à écouter ce que disait l’hystérique. « Je veux un homme qui sache faire l’amour ». Eh bien oui, l’homme s’arrête là. Il s’arrête à ceci, qu’il est en effet quelqu’un qui sache. Pour faire l’amour on peut repasser.[36] »

À partir de « faire désirer », l’hystérique se met en place d’objet a. Dans son discours, « sa vérité, c’est qu’il lui faut être l’objet a, pour être désirée.[37] » Elle se fait désirer au sens du troisième temps de la pulsion – désirer, être désirer, se faire désirer. Au même titre, le maître « fait produire » ou « se fait produire », l’analyste « fait l’objet » ou « se fait l’objet », là où l’universitaire « fait savoir » ou « se fait savoir ». Dans chaque discours une bascule s’opère : le produit se met en place d’agent. Il y a donc un rapport direct entre les discours du maître et de l’analyste et entre ceux de l’hystérique et de l’université. Pourtant, il n’y a passage du discours du maître au discours analytique qu’à partir d’une bascule opérée par le discours hystérique. Soit l’hystérique reste le produit de l’université, et tient donc à son discours, soit il effectue l’opération d’un quart de tour pour opérer dans le discours du maître. C’est pourquoi, nous avons travaillé les trois discours dans la question dite de la formation de l’analyste, à considérer que le sujet vient à l’analyse à partir de son symptôme, d’une demande de savoir à son sujet et de son fantasme qui, de structure, soutient le discours du maître.

En articulant au discours de l’hystérique, un acte : « faire désirer », comment viendrait-il s’inscrire au travers desdits métiers impossibles ? Nous ne saurons conclure, sans humour, que l’hystérique relève d’un métier impossible en soi-même si la mascarade signe son rapport au réel insupportable. Nous l’entendons bien plus du côté de l’impossible freudien au travers de sa question « Que veut-une femme ? ». Tel un quatrième terme dans l’opération des discours, le « faire désirer » de l’hystérique marquerait son lien étroit avec son propre désir tel le « se faire objet », « se faire savoir », et « se faire produire » des trois autres positions impossibles.

Du réel, le désir hystérique viendrait initier la ronde des discours : « C’est avec ça [le discours de l’hystérique] que se dessine le discours du psychanalyste.[38] » Mais, pas sans le savoir. Or, ce qui conduit au savoir c’est le discours de l’hystérique. Aussi, le « faire désirer » serait la condition même de l’articulation des discours à leur possible quart de tour. Le discours de l’hystérique serait cause même du désir de chacun.

 

Passe et manque : des « écrits à paraitre » 

 

Finalement, ce trait d’humour freudien n’est pas sans reste : d’un métier impossible s’y loge un désir auquel l’acte viendrait y déloger son objet. Pour cela, un engagement et du courage à garder cette place vide pour l’autre. « S’en passer à condition de s’en servir » s’applique aisément à cette question de l’objet et de sa place. Passer pour ne pas y passer, telle serait la question en suspens, ici, de l’être analyste. En effet, cette place, ne serait pas du ressort d’une fonction – pour que cela fonctionne –, ou d’une formation – pour que cela forme – mais, le ressort d’être support de l’objet, cause du désir de l’autre. Impossible certes, mais, « ce n’est pas de la fonction qu’il s’agit, mais de l’être du psychanalyste. » rappelle Lacan. Et de poser la question à chaque analysant :  « Qu’est-ce qui s’engendre pour qu’un beau jour, un psychanalysant s’engage à l’être, psychanalyste ?[39] » À ne pas y passer, c’est s’offrir à une certaine malédiction, ou pire, d’un « je n’en veux rien savoir » qui « refusé dans le symbolique […] reparaît dans le réel.[40] »

Aussi, Lacan nous propose un « D’Écolage » en direction de son Champ au travers de cette didascalie que « La Cause freudienne n’est pas École, mais Champ – où chacun aura carrière de démontrer ce qu’il fait du savoir que l’expérience dépose.[41] » Ce savoir, n’est pas un ready-made, il est nécessaire de l’inventer, de le trouver, tel que Lacan le formule dans la conclusion de la « Note italienne », que « tout doit tourner autour des écrits à paraître.[42]» Aussi, « mieux vaut qu’il passe, cet AE [Analyste de l’École], avant que d’aller droit s’encastrer dans la caste.[43] »

 

 

 

 

[1] Lacan J., Lettre au journal Le Monde datée du 24 janvier 1980, « Après la dissolution de l’École freudienne de Paris».

[2] Silésius Angélus, Le Voyageur chérubinique, Rivages, poche n°464, p. 54.

[3] Freud S., Analyse finie et analyse infinie, [1937], chap VII.

[4] Freud S., Préface de l’ouvrage de August Aichhorn, Jeunesse à l’abandon, [1925], Nîmes, 2002, Champ Social.

[5] Lacan J., Le savoir du psychanalyste, Entretiens de St Anne, 1971-1972. Entretien du 1er juin 1972, In., « Ou pire », Seuil, Paris, p. 197.

[6] Logique. Logos. Langage. Discours.

[7] Cf. troisième temps logique de la pulsion le « se faire » objet cause…

[8] Objet cause du désir et le cause. Il origine le désir et en cause. Fait désirer. « Demander, le sujet n’a jamais fait que ça, il n’a pu vivre que par ça, et nous prenons la suite. » cf. Lacan, « La Direction de la cure », Écrits, Seuil, Paris, p. 617.

[9] Lacan J., Le Séminaire, Livre XVII, L’envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, p. 23.

[10] Lacan J., Lettre au journal Le Monde, op.cit.

[11] Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p.252.

[12] Lacan J., L’envers de la psychanalyse, op. cit. p. 234.

[13] Ibid., p. 201.

[14] Lacan J., « Fonction de la parole et du langage », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p.293.

[15] L’inconscient réel, a-sujet.

[16] Lacan J., L’envers de la psychanalyse, op. cit.,, p. 202-203.

[17] Ibid., p. 24.

[18] Ibid., p. 91.

[19] Ibid., p. 92.

[20] Lacan J., « Télévision », Autres Écrits, op.cit., « L’interprétation doit être preste pour satisfaire à l’entreprêt. De ce qui perdure de perte pure à ce qui ne parie que du père au pire. » p. 545.

[21] Lacan J., L’éthique de la psychanalyse, Leçon du 27 janvier 1960, Seuil, Paris, p.143.

[22] Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Seuil, Paris, 1973, p. 27.

[23] Lacan J., L’éthique de la psychanalyse, Leçon du 27 janvier 1960, Seuil, Paris, p. 143.

[24] Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’angoisse, Paris, Seuil, 2004, p. 209.

[25] Lacan J., L’envers de la psychanalyse, op.cit., p.202.

[26] Lacan J., L’envers de la psychanalyse, op.cit., p. 228.

[27] Ibid., p. 205.

[28] Ibid., p. 205.

[29] Lacan J., Lumière !, 15 avril 1980, In., Ornicar ?, n°22-23, 1981, p.10.

[30] Lacan J., L’envers de la psychanalyse, op.cit., p. 197.

[31] Objet vidé de sa vérité, au risque de l’effroi. Mot constitué à partir du grec aletheia, la vérité qui en lui-même contient la racine de l’oubli, léthé. Objet, donc marqué du sceau du a privatif a-léthéia, l’a-vérité. Le « hors-vérité » pourrait-on dire au même titre que le hors-sens. Si le voile de l’oubli venait à être levé, une rencontre avec le réel en serait l’effet avec son signal d’angoisse. Cf. L’envers …: Les sillons de l’aléthosphère p.175 et Le pouvoir des impossibles, p.209.

[32] Lacan J., L’envers de la psychanalyse, op.cit., p. 203.

[33] Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir », Écrits, op.cit., p. 821.

[34] Lacan J., L’envers de la psychanalyse, op.cit., p. 202.

[35] Silésius Angélus, Le pélerin chérubinique, op.cit., p.126.

[36] Lacan J., L’envers de la psychanalyse, p. 235.

[37] Ibid., p. 205.

[38] Ibid., p. 228.

[39] Ibid., p. 229.

[40] Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », op.cit., p.252.

[41] Lacan J., «  D’ Écolage » , 11 mars 1980, Ornicar ?, n°20-21, 1980, pp. 14-16.

[42] Lacan J., « Note italienne », Autres Écrits, Paris, Seuil, p. 311.

[43] Lacan J., Courrier de la Cause freudienne, n° 3, 23 octobre 1980.

 

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